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Le rhabillage des meules


Il n'est pas question ici de décrire en détail tous les types de moulins ou tous les types de meules, nous y reviendrons peut-être plus tard. Nous allons aborder ici un travail spécifique et délicat propre à cette activité très spécialisée qu'est la meunerie, à savoir le rhabillage des meules.
La plupart des gens qui n'ont jamais été dans un moulin en marche  ne savent généralement pas ce qui se passe entre les meules. D'abord les meules ne se touchent jamais, il ne vaut mieux pas, car si c'était le cas, elles s'useraient l'une contre l'autre et abîmeraient leur surface, on aurait de la poussière de pierre dans la farine, , elles pourraient s'arrêter et au pire, elles pourraient à leur contact créer des étincelles dangereuses. La poussière de blé, de seigle, d'orge et d'avoine est plus explosive que la poudre à canon, le maïs faisant exception avec le sarrasin qui est une plante de la famille des polygonacées.
En théorie les meules pourraient moudre du grain avec des surfaces planes. Mais pour réduire la force motrice, aérer la farine sans surchauffe,  augmenter le rendement et obtenir une très bonne mouture il est indispensable de rayonner les meules, c'est-à-dire de créer un réseau de sillons creusés sur les surfaces travaillantes de celles-ci. L'action de raviver ces rayons s'appelle le rhabillage des meules.



Les meules fonctionnent par paire qui porte le nom de tournant: la dormante ou gisante à la base, calée sur une structure appelée beffroi, et par dessus la volante ou tournante. Cette dernière est engagée sur une patte en fer en forme de double queue d'aronde, l'anille, elle-même crantée sur le bout carré de l'axe vertical ou grand fer qui traverse la gisante par un orifice nommé le boîtard. Le bout inférieur de l'axe dans la chambre des eaux s'appuie sur une crapaudine ou grenouille ou couette, elle-même engagée dans un palier. Ce palier est solidaire d'un système, la trempure, qui règle la hauteur de la meule volante.



Cette dernière est entourée par une caisse en bois appelée cuve, serche, cerce, archure ou tambour et recouverte d'un couverceau. Quand on soulève et retourne la volante on peut s'apercevoir que le dessin du rayonnage est identique sur les deux meules: si on replace la volante sur la dormante, les rayonnages sont en opposition et donc inversés. Ainsi les rayons produisent un effet de cisaillement.
Quand on considère une volante retournée et qu'on voit la façon dont sont disposés les sillons, avec leur arrière-bord et leur avant-bord, on peut en déduire le sens de rotation de celle-ci, dans le sens horaire, ou antihoraire: les deux sens sont possibles, car cela dépend si l'eau frappe les pales à gauche ou à droite de l'axe central, dans le cas d'un moulin hydraulique à axe vertical.




Les rayons vus en coupe comportent un arrière-bord ( dos/escarpe), un rampant, plan incliné qui rejoint l'avant-bord (  bord d'attaque / bord de plume), enfin une surface plane , le portant. Le portant est la surface travaillante qui mout véritablement le grain et le réduit en farine.



L'action des rayons est triple: d'abord elle permet de couper et décortiquer le grain comme une paire de ciseaux. Elle déplace par force centrifuge celui-ci de l'entrée entre les deux meules vers l'extérieur, en le faisant passer successivement du coeur à l'entrecoeur, à la feuillure et à la portée. Enfin elle assure une ventilation suffisante entre les meules pour éviter que la mouture ne s'échauffe.

Nomenclature des zones de la meule

Le bon état du rayonnage est décisif pour le mordant des meules et donc pour la finesse de la mouture. Quand les meules sont usées, fatiguées, "lasses",  la mouture est médiocre, le son est déchiqueté en petites particules qui se mélange à la farine, et trop d'énergie est employée pour le fonctionnement correct du moulin. Une paire de meules bien rhabillées et bien réglées feront un son en gros flocon et réduiront efficacement l'amande du grain en gruau puis en farine sans l'échauffer.

Les rayons ne sont pas dessinés suivant un axe radial à partir du centre de la meule: ils sont disposés tangentiellement à un cercle théorique plus petit que l'oeillard, appelé le cercle de chasse.

Cercle de chasse

Le nombre , la forme et la disposition des rayons est très variable suivant la qualité de la pierre, la céréale destinée à être moulue, la vitesse de rotation de la meule, tous ces facteurs aboutissent à un schéma spécifique à ceux-ci qui est dessiné sur les meules avant le piquage proprement dit à l'aide d'un gabarit.
Les rayons sont groupés en harpes ou quartiers, chacun constitué d'un rayon maître  et de plusieurs rayons secondaires, selon le dessin adopté. Le second rayon est appelé  le " compagnon", le troisième "l'apprenti", le quatrième le "papillon", parfois la "mouche".

Modèles de meules

Suivons le parcours des grains de céréale entre les meules: ils tombent tout d'abord dans l'oeillard, puis sont pris dans l'entrée par le mouvement de rotation de la meule supérieure, la volante, et déplacés vers l'extérieur. Ils sont encore entiers quand ils s'engagent dans le coeur.
 



Là une dizaine de rayons maîtres creusés profondément commencent à les concasser et les décortiquer en fragments grossiers par leur action de cisaillement. Ils rencontrent ensuite dans leur mouvement centrifuge les rayons secondaires qui les broient vingt fois, à cette étape. Comme la profondeur des rayons s'amoindrit ( de 6 à 3 mm ) en allant vers l'extérieur et les surfaces des meules se rapprochent, la taille des particules diminue. Enfin elles atteignent la portée ou les rives, partie périphérique des meules striée de fines rainures espacées de 2mm et profondes de 1mm, parallèles aux rayons principaux, appelées ciselures ou rhabillures: elles ont pour but d'écurer les sons et affleurer la farine.
 Les portants, la surface réelle des meules entre les rayons, sont finement bouchardés et parfois ciselés de petites rainures en V, parallèles aux rayons, afin d'obtenir un mordant en les rendant bien rugueuses.

Les outils spécifiques du rhabilleur ou de l'amoulageur sont:
- un jeu de règles, grande et petite, et de l'ocre à marquer mélangé à de l'eau pour le dressage du coeur, de l'entrecoeur et des rives. Les règles sont enduites d'ocre et passées sur les surfaces: les endroits trop saillants se marquent et après plusieurs passages et rectifications successives au marteau à piquer les surfaces sont bien parallèles
- plusieurs marteaux, à panne plate et pointue, des bouchardes, des massettes et ciseaux.
Le fameux marteau à piquer ou mailloche à tranches, outil emblématique du rhabilleur, se compose d'un manche mortaisé par une lumière oblique: on y engage une tranche, pièce métallique en double biseau, qui se bloque dans la mortaise. On peut observer la très grande similitude de cet outil, héritier direct de son ancêtre, avec la hache néolithique en pierre polie à emmanchement direct. Le principe est le même, la partie travaillante est bloquée dans une mortaise en forme de coin: ceci permet dans le cas du marteau à piquer l'interchangeabilité de la tranche selon le travail à fournir et peut-être une certaine souplesse à l'impact. Car ce travail, ce martelage très spécialisé demande un coup de main particulier, la main à l'arrière du manche étant le pivot et la main devant percutant avec précision.



La seule façon de voir réellement la transformation du grain pendant son parcours serait d'arrêter les meules en plein travail et de soulever la volante: on pourrait découvrir les différentes phases de la mouture du grain sur la gisante, en grains entiers puis en allant vers l'extérieur, en gruau, en semoule et en farine.
Si les rayons ne remplissent pas correctement leur rôle de distribution, de ventilation, de décorticage et de coupe, on court le risque d'avoir un grain écrasé, ce qui a pour conséquence d'exprimer l'huile du grain: elle imbibe alors la farine qui a tendance à rancir et à moins bien se conserver.
Le voyage du grain se fait de l'oeillard à la portée normalement en deux tours et demi. Le temps moyen de rotation est de 60 tours/minute. Si cela prend plus de temps, la mouture a tendance à bourrer, la pression est trop grande et trop d'humidité, d'huile et de chaleur se dégagent. Au contraire si le parcours se fait trop vite, la pression n'est pas assez forte et la mouture n'est pas bonne non plus.


Liens :

- Les Moulins de St-Luc
- Les moulins hydrauliques en France, VIIIE-XIVE siècles
- Le Moulin de la Mousquère
- Meules fertoises
- Le Moulin de Mendagne
- Les moulins de france
- The Art of the Millstones
- Instructions on how to dress millstones


Bibliographie :

- Manuel du meunier et du charpentier de moulins, Edme Béguillet, César Boquet.

- Jeux d'eaux, moulins, meuniers et machines hydrauliques, Cahiers d'histoire des techniques éd. Aline Durand.

- Les Moulins, Jean Orsatelli, éd. Jeanne Lafitte.

- Le moulin et le meunier, Claude Rivals, Empreintes éd..

- Moulins à vent et meuniers des pays d'Oc, Auguste Armengaud, Claude Rivals, éd. Loubatières.

- Encyclopédie de Diderot et d'Alembert.